Tribune : "la mise en œuvre du Plan de relance en région est l'illustration d'un dialogue social en panne"

Publié le 14/12/2020

Pour faire face aux conséquences économiques et sociales de la crise de la covid-19, un plan de soutien de 470 milliards d’euros a été mobilisé pour soutenir les entreprises, en particulier les TPE/PME, et pour protéger les salariés. En complément de ces premières mesures de soutien, un plan « France Relance », « une feuille de route pour la refondation économique, sociale et écologique du pays » a été présenté le 3 septembre par le gouvernement, dont la déclinaison territoriale est confiée aux Régions.

Un plan de relance nécessaire...

Si le plan de relance annoncé par le Gouvernement était absolument nécessaire, son effectivité n’en est pas pour autant assurée. Parce que les enjeux sociaux, économiques sont lourds, parce que les fonds publics engagés sont considérables, nous devons nous assurer de leur juste et efficace utilisation, au niveau régional comme dans les secteurs et les territoires. Or en Auvergne-Rhône-Alpes, le représentant de l’Etat, c’est-à-dire le préfet de région, comme le président de région ont perdu la culture du dialogue social, ce qui faisait notre spécificité jusqu’en 2016. Ils ont en commun d’avoir une vision encore trop jacobine et descendante de l’intervention publique alors que c’est en grande partie au plan local que se joue la transformation de notre tissu économique et la préservation des emplois.

Pour illustrer mon propos, prenons l'exemple de la convention entre l’Etat, la Région et Pôle emploi sur le pilotage de la formation professionnelle en direction des demandeurs d’emploi : le comité de pilotage mis en place est composé du Préfet de région, du Président de Région, du directeur de Pôle emploi. Ni les organisations patronales, ni les organisations syndicales n’ont été conviées...

Rappelons aussi que le Conseil Régional porte également un plan de relance régional : le pacte Rebond pour l’emploi. Pour les organisations syndicales, la mise en œuvre et le suivi de ce pacte régional est encore plus opaque que le plan de relance national.

 

...mais sans les partenaires sociaux.  

S’agissant de la mise en œuvre territorialisée du plan de relance, la circulaire du 23 octobre dernier du premier ministre précise pourtant qu’un comité de pilotage et de suivi associant de nombreux acteurs dont les partenaires sociaux doit être institué en région. L’intersyndicale réunissant la CFDT, la CFTC, la CFE/CGC, la CGT, l’USA, Solidaires et la FSU n’a de cesse depuis quelques mois de demander à être partie prenante du suivi des plans de relance. Nous portons des exigences fortes en matière de conditionnalité des mesures d’aide, notamment en matière d’emploi et de formation professionnelle. Nous formulons aussi des revendications sur le volet social, insuffisamment traité de notre point de vue. Pour ces raisons, nous considérons que notre rôle est loin d’être pris en considération en région.

Là encore, cette absence de prise en considération peut être illustré par un exemple : nous avons en effet été invités le 2 décembre (à 14h00 !) à participer à une visioconférence organisée sous l’égide du préfet de région... le lendemain, dans un format qui ne favorisait pas les échanges : 300 participants, aucun document présenté ni remis... Nous avons assisté à une présentation sous la forme d’un catalogue des mesures proposées, faisant davantage penser au grand marché de Noël des élus qu’à un comité de suivi et de pilotage.

Heureusement, le dialogue social se joue à tous les étages. Ainsi parallèlement, les préfets de départements ont été invités à organiser des comités territoriaux. Dans 3 d'entres-eux (l’Isère, le Rhône, la Savoie) les acteurs locaux sont conviés y compris les partenaires sociaux, et la CFDT compte bien prendre toute sa place.

 

Agir concrètement au plus près des lieux de vie

En Auvergne-Rhône-Alpes la CFDT a prouvé sa capacité à développer une expertise en matière d’emploi, de formation professionnelle et de dialogue social territorial, trois domaines sur lesquels nous sommes légitimes et compétents pour agir, et ce d’autant plus en période de crise économique. Notre implication dans les Comités Territoriaux Emploi Formation (CTEF) jusqu’en 2016 a démontré notre capacité à porter concrètement ces enjeux dans les bassins de vie. Nous pouvons nous appuyer, tant du niveau régional que territorial, sur un réseau de militant·e·s motivé·e·s et volontaires pour construire un dialogue social de qualité, c’est un enjeu fort pour la CFDT.

Le dialogue social territorial est la forme instituée d'un dialogue tourné vers l’action dans le domaine de l’emploi et du développement de l’activité au niveau local, entre les partenaires sociaux et les acteurs locaux-  élu·e·s, acteurs de la formation, de l’insertion-. C'’est aussi une démarche à construire dans la durée, un outil au service de la définition d’un projet local et global pour l’emploi et la sécurisation des parcours professionnels. Pour la CFDT, le dialogue social territorial c’est d’abord participer à une gouvernance territoriale, élaborer un diagnostic partagé et piloter un plan d’action stratégique concerté, ce qui permet aussi de donner un cadre au développement local et à l’aménagement du territoire.

A titre d"exemple de ce que produit le dialogue social territorial, citons l’action des camarades de Maurienne, dans le cadre du dispositif Territoires d’industrie, initié en 2019 par l’Etat, sous la responsabilité de la région. La Maurienne est une vallée fragilisée dans le secteur économique social et démographique, et la crise sanitaire va probablement accentuer cette fragilisation, comme l’indiquent les diagnostics partagés du CTEF. Or, pour la CFDT, les territoires de montagne ne doivent pas axer leur économie uniquement sur le tourisme. L’industrie peut constituer un élément de développement, de création de valeur ajoutée à trois conditions : relocaliser intelligemment, répondre aux défis écologiques, et bien sûr intégrer le dialogue social. En poussant pour une démarche de GPECT (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences Territoriales) l’équipe locale interprofessionnelle CFDT propose d’opérer une relance économique, sociale et responsable de ce territoire. C’est pourquoi il est nécessaire qu'ils soient associés au comité de pilotage de Territoires d’Industrie Maurienne.

 

Des équipes CFDT pertinentes pour accompagner ces transitions

Les équipes CFDT dans les territoires sont à même d'agir concrètement pour porter des projets de GPECT, ou à être force de proposition pour développer des actions innovantes, favorables au dynamisme territorial et à l’emploi. Elles l’ont déjà fait par le passé, et elles sont prêtes à le refaire.

Toutefois, pour faire la démonstration de cette efficacité de réflexion et d'action porteuses de sens, les interlocuteurs politiques (services de l’Etat en Région ; Conseil Régional et parfois des élus locaux) doivent intégrer les organisations syndicales dans les comités de pilotage des plans de relances et des instances de dialogue social territorial. Il semble cependant que la pression constante de l’intersyndicale régionale commence à porter ses fruits. Le Comité Régional Emploi Formation Professionnelle (CREFOP) sensé piloter ces politiques dans notre région, montre des signes encourageants pour s’emparer véritablement de la mise en œuvre de ces plans de relance.

La CFDT régionale ne relâchera pas ses efforts pour être associée à la table de tous les comités de pilotage, en qualité d'interlocuteur légitime. C’est inévitable, la CFDT sera à nouveau impliquée dans le dialogue social territorial, pour participer au pilotage des plans de relance et d’actions, pour évaluer leurs effets, au bénéfice des travailleurs, de l’emploi et de l’économie locale. Il faut simplement que les « politiques » l’acceptent le plus rapidement possible.

La situation d’urgence sanitaire et sociale actuelle ne doit pas nous faire oublier pour autant la nécessité d’anticiper les conséquences sur le monde du travail des mutations et des transitions à venir. Trouver des solutions adaptées à ces défis passera inévitablement par la démocratie sociale. Nier notre légitimité à dialoguer sur ces sujets, c’est mettre en péril la démocratie.