COVID-19 2ème vague : témoignage de Pascal, informaticien et non voyant

Publié le 24/11/2020

Alors que nous connaissons une seconde vague et que nombreux.ses sont les français.es re confiné·e·s, Flash Trait d'Union donne à nouveau la parole à ces femmes et ces hommes qui permettent à la vie de continuer.

TU : Pascal Bouchet, qui es-tu ?

Pascal : J’ai 59 ans, je suis marié, père de deux enfants et j’ai la chance aussi d’avoir trois petits enfants avec lesquels j’aime passer beaucoup de temps, c’est un de mes passe-temps favori, un grand bonheur pour moi. Professionnellement, si je devais résumer mon parcours je pourrais dire que j’ai eu deux vies. J’ai en effet débuté ma carrière comme électromécanicien en Touraine puis, quelques années plus tard, mon épouse et moi avons souhaité créer notre entreprise : après avoir géré des stations-services nous avons ouvert un centre automobile. C’était un travail intéressant avec de multiples activités : recrutement, animation d’équipe, gestion de commandes, électricité et mécanique automobile. Malheureusement, je suis porteur d’une maladie de naissance qui jusque là m’avait laissé tranquille, mais brutalement, j’ai eu très grosse baisse de vue, j’ai du tout arrêter et opérer une reconversion professionnelle. A l’époque, trois options m’ont été proposées :  kinésithérapie, informatique ou les métiers d’accueil du téléphone. C’est ainsi qu’à 37 ans j’ai repris mes études pour préparer un BTS de technicien en informatique de gestion.

 

TU : Cela peut paraitre surprenant de choisir une reconversion vers l’informatique quand on est déficient visuel ?

Eclats de rire …

Pascal : Ce fut exactement ma réaction lorsqu’à l’époque l’ANPE m’a proposé ce choix. C’est vrai que je traversais une période vraiment difficile à vivre.  La mécanique automobile était ma passion, j’entretenais des voitures de course de jeunes équipes de rallye-men, une manière de soutenir car je n’avais pas les ressources financières suffisantes pour les sponsoriser. Cela ne me dérangeait pas de passer une nuit sous le capot d’une automobile, c’était une véritable passion. Tout a été stoppé brutalement, ce fut un coup très très dur. Aussi, quand le conseiller de l’ANPE m’a parlé d’une reconversion dans les métiers de l’informatique j’ai pensé qu’il se moquait de moi : je me rappelle lui avoir rétorqué un peu amer : « Mes enfants ont un ordinateur à la maison, moi je ne vois rien du tout sur l’écran et vous me proposer de faire de l’informatique ? ». Ma réaction ne l’a pas surpris et il m’a conseillé d’aller visiter un centre de formation à Clermont-Ferrand qui disposait de techniques et moyens logistiques spécifiques pour former les personnes déficientes visuelles. Cette visite fut déterminante, même si finalement, j’ai choisi, pour des raisons de commodité liées au transport, un centre de formation à Paris qui accueillait uniquement des personnes mal voyantes et non voyantes. Deux années plus tard, j’ai obtenu mon BTS.

 

TU : Ce qui frappe lorsqu’on t’écoute, c’est la sérénité qui t’anime même à l’évocation de ces moments douloureux 

Deux choix s’offraient à moi : soit rester chez moi et me morfondre soit trouver les ressources pour rebondir. Père de famille, j’estimais que j’avais une responsabilité, celle de permettre à mes enfants alors adolescents de choisir leur orientation professionnelle, comme par ailleurs mes parents m’avait permis de le faire. J’ai bénéficié du soutien indéfectible de mon épouse, de mes enfants, de mes proches, et cela compte beaucoup, énormément pour vaincre les coups de blues, rassurer, motiver : je me souviens par exemple que lorsque je passais les modules de fin d’étude, mes enfants suivaient avec attention ma formation, s’inquiétaient de savoir si tout se passait bien, c’était extrêmement motivant et important pour moi. Si être entouré est fondamental, il faut aussi accepter de vivre avec son handicap : cette phase d’acceptation est parfois longue et douloureuse mais elle est, de mon point de vue, essentielle.

 

TU : Une fois ton diplôme obtenu, as-tu trouvé facilement un nouvel emploi ?

J’ai eu la chance d’être recruté à EDF, où j’ai effectué du développement comme assistant applicatif sur des logiciels de CAO puis j’ai travaillé sur une plateforme de gestion, achats, et développement informatique pour nos contrôles d’accès sur les centrales nucléaires, ce qui constituait une partie très intéressante. Et là, de nouveau un petit coup dur, la vue me rendait vraiment pénible mon travail, je suis donc parti aux achats, mission que j’effectuais déjà en partie pour la plateforme de développement : peu de temps après mon arrivée les outils ont évolué et n’étaient plus accessibles pour moi. Aussi c’est presque de manière naturelle que j’ai évolué pour effectuer des missions en lien avec l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap.

 

TU : Tu es aujourd’hui un militant CFDT engagé, référent handicap pour ta fédération mais aussi pour l’URI, accompagnant ARC, peux-tu nous dire quelques mots de ton parcours syndical ?

Adhérent CFDT, je faisais partie du comité de suivi de l’accord handicap EDF au niveau local, et lorsque je suis arrivé à la direction des achats, les camarades de la CFDT m’ont demandé si je souhaitais m’engager sur une mission handicap sur le plan national et c’est ainsi que, de fil en aiguille, j’ai assumé d’autres mandats syndicaux. J’ai été élu au CHSCT, puis membre du comité de suivi national et donc de la négociation des accords, après représentant syndical au comité d’entreprise puis délégué syndical et depuis la dernière mandature je suis élu au CSE, délégué syndical au niveau de la direction des achats et surtout en charge de deux gros dossiers, le handicap au niveau EDF, et depuis peu, celui de l’égalité professionnelle, sujet sur lequel nous devrons renégocier l’an prochain un nouvel accord.

Je suis aussi satisfait de mettre mon expertise sur ce sujet au service des travailleurs et travailleuses et de la CFDT, qu’il s’agisse d’accompagnement individuel, mais aussi de conseils, comme par exemple avec l’organisation de webinaire auquel j’ai participé hier.

 

TU : La crise sanitaire a encore aggravé la situation des travailleurs et travailleuses en situation de handicap, deux fois plus touché par le chômage, pourtant des mesures exceptionnelles ont été prises notamment par l’Agefiph pour protéger leur emploi notamment par l’octroi d’aides financières pour l’aménagement et l’adaptation de postes. Que constates-tu ?

Dans mon entreprise, nous avons très vite observé que des problèmes se posaient quant à l’aménagement des postes à domicile. La mission handicap a réagi très rapidement pour équiper ses postes en télétravail. Aujourd’hui, lors de ce deuxième confinement, bon nombre d’entre eux et elles travaillent d’ailleurs 5 jours sur 5. Une vigilance particulière est apportée par les correspondants handicap qui appellent régulièrement ces personnels, pour garder le lien mais aussi repérer des besoins éventuels et cela se traduit notamment par un appel téléphonique. Les managers ont aussi été invités à être attentifs particulièrement avec les travailleurs et travailleuses en situation de handicap.

 

TU : De quoi es-tu le fier dans ton parcours professionnel et/ou syndical ?

Ce dont je suis le plus fier, c’est d’œuvrer pour améliorer l’insertion et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap dans mon entreprise.  La CFDT m’a confié le pilotage de la négociation de deux accords pour améliorer les conditions de travail des collègues en situation de handicap. C’était un gros travail mais qui a débouché sur des actions tangibles, comme par exemple le comité des aides, dont je suis membre, une structure mise en place pour apporter des réponses concrètes et utiles aux besoins de ces salarié.es. qui malgré leur handicap, se battent pour travailler. Je me sens vraiment utile et c’est important pour moi.

 

Un conseil à partager ?

Si j’avais un seul conseil à donner, particulièrement aux personnes en situation de handicap, ce serait de ne pas se mettre de barrière : ESSAYEZ et RESTEZ OPTIMISTE. C’est un conseil que m’a donné le professeur d’ophtalmologie qui me suit, et que j’essaye de mettre en œuvre. Depuis que j’applique ce principe, je vis mieux mon handicap.

 

Propos recueillis par Sylvie Excoffier