Métiers du lien et services à la personne : les militantes de la région échangent avec Laurent Berger

Publié le 14/12/2020

La CFDT Auvergne-Rhône-Alpes et la confédération ont organisé vendredi 4 décembre un temps d'échange entre des militantes des soins et de l’aide à domicile, des métiers du lien. L’objectif de ce temps de dialogue ouvert aux militants de ces secteurs professionnels était de partager avec le secrétaire général la réalité du travail, ainsi que les pratiques syndicales qui permettent d’organiser les salariés et de peser dans le cadre du dialogue social. Ce temps riche d'échanges a permis à des militantes réparties sur plusieurs champs fédéraux de se retrouver au travers des réalités vécues par les unes et autres et trouver ainsi des points d'accroche à leurs actions syndicales respoectives. Nous avons voulu en seavoir un peu plus au travers du témoignage d'une des protagonistes de cette rencontre.

Qui es-tu ?

Louise Faure, aide à domicile dans une entreprise de services à la personne (Domusvi domicile) depuis 10 ans. J'ai 37 ans,suis syndiquée à CAP Auvergne (Cantal Auvergne Puy-de-Dôme), Représentante Syndicale et Élue au CSE.

 

Tu as eu l’opportunité de dialoguer avec le secrétaire général de la CFDT la semaine dernière. Qu’as-tu pensé de cet échange et qu’en retiens-tu ?

J'ai pris l'échange avec Laurent Berger en cours mais j'en retiens toutefois beaucoup de choses. La complexité de l'aide à la personne est l'hétérogénéité du secteur d'abord. Les statuts foisonnent ainsi que les conventions collectives: je suis salariée d'une entreprise privée à but lucratif et dépend de la convention collective des entreprises de services à la personne, quand certaines des auxiliaires de vie qui se sont exprimées sont fonctionnaires ou bien employées par le milieu associatif. Autant de règles, acquis, et conventions qui contribuent à créer des situations différentes.

Néanmoins des problématiques sont récurrentes, liées à mon sens à une perception de notre métier plus affective que professionnelle. Très genrée (les femmes y sont sureprésentées) les discours ambiants s'accordent sur notre "écoute", "humanité", " gentillesse", "dévouement" etc. Et paradoxalement cela nous nuit, à plusieurs égards. Parce que nous aurions naturellement une propension au sacrifice, on trouve normal de ne quasiment pas nous rémunérer les temps de trajets entre les clients/bénéficiaires, de défrayer l'essence à des taux absolument en décallage complet avec les dépenses engagées, ou de ne pas prendre au sérieux nos demande de formation et d'évolution.

Nous avons tous partagé le constat de l’utilité de ses professions du lien, a fortiori dans une période comme celle que nous vivons. Penses-tu que la reconnaissance (sous toutes ses formes) que le secteur est en droit d’attendre est au rendez-vous ?

La particularité de notre métier c'est l'isolement professionnel, nous travaillons dans l'intimité de particuliers qui n'ont pas une perception toujours juste de nos tâches et limites. Et dans ces lieux, privés, inspection et médecine du travail ne peuvent pas intervenir si cela s'avère nécessaire. Les salariés sont assez seuls, le turn-over est conséquent, et il y a des problématiques d'alphabétisation réelles parmi mes collègues.  Autant dire que la tâche est d'envergure et qu'il faut avoir aplomb et énergie!

La vraie reconnaissance de notre métier sera donc celle-ci, une avancée de nos droits, en terme de rémunération, prise en considération du temps de travail réel, et couverture de protection sociale, dans cette profession où les inaptitudes se multiplient de manière effrayante.

En quoi cet échange peut avoir un impact sur ton action syndicale future ?

Cette rencontre me conforte dans l'idée que l'on peut faire beaucoup à condition de comprendre que tout cela se joue dans le temps, qu'il s'agit d'un mûrissement. Réalité difficile à admettre pour un salarié en souffrance. Tant que l'on n'est pas parvenu à un rapport un minimum pacifié avec son employeur (et parfois malheureusement l'on peut s'épuiser avant que d'y parvenir) on n'obtient que des avancées minimes pour un investissement considérable. D'autant que la syndicalisation reste difficile, les salariés ne restant pas.

Il importe de multiplier les procédés. Pour etre en lien avec les salariés user abondamment du téléphone, des moments festifs organisés par l'employeur pour "fidéliser les salariés", l'affichage en agence, le bulletin d'adhésion joint au bulletin de paie (entendu à la réunion: excellente idée!) etc.

Et puis apprendre à communiquer: que fait-on, pourquoi. Par exemple après une réunion du CSE, faire notre compte rendu CFDT avant le PV, l'afficher, remettre le contact et une petite phrase simple et efficace: "Des questions? Nous sommes là, élues au CSE, et aides à domicile comme vous!"

Se forger un bagage juridique aussi, être le plus au fait possible des lois, évolutions, jurisprudences; et cela aussi se fait dans le temps, notamment grâce aux formations CFDT au cours desquelles j'ai beaucoup appris. Être curieux et poser des questions lorsque l'occasion se présente, à un cabinet d'expertise ou juridique partenaire, surtout dans les moments de convivialité (en tendant fourbement un café, imparable 😉 )

Et malheureusement si cela s'avère nécessaire et en dernier recours se résoudre aussi aux recours en justice. Je l'ai fait, avec une collègue énergétique et très investie, et nous sommes toujours dans l'entreprise.  Nous avons gagné par deux fois et été rétablies dans nos droits. La direction a changé, un dialogue social s'est installé. Il y a dix ans nous n'avions même pas de congés payés!! Nous partions de loin, il faut tout de même une sacrée dose de conviction et d'utopie... Mais c'est extrêmement formateur, quasi initiatique.

Nous sommes maintenant membres du CSE, débattant des points vibrants de l'entreprise: c'est passionnant !

Et j'ai entendu cela dans les propos de Laurent Berger: les militants sont les sources vives.  De son côté, il peut mettre la pression institutionnelle, les exhortations au gouvernement, afin qu'ainsi interpellé l'Etat agisse en conséquence avec les amendements. Car les engagements politiques du gouvernement sont souvent limités à des effets d'annonces, les promesses consensuelles tardent parfois à se concrétiser.

Chacun son rôle, ses étendues de possible.

Pour finir as-tu un message (d’espoir ?) à faire passer dans la période ?

Plus déterminée que jamais, c'est tout l'intérêt de ce métier de sens exercé auprès de personnes qui ayant vécu la plus conséquente partie de leur existence ne ressentent pas le besoin d'être en représentation. J'aime cette réalité de travailler sans éclat dans un secteur qui mobilise les forces humaines et renvoie la mécanisation à ses limites.

"Si on écoute le public autant que l'on parle il se transforme en partenaire", G.Steinem

A méditer!!!  

 

Propos recueillis par Sylvain Desoignies