Retour

Licenciement économique et droit européen : quelles règles, avec quel champ d’application ?

Publié le 04/12/2023

Le droit européen est peu disert sur la protection contre les licenciements. Tout au plus peut-on mentionner l’article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000 qui prévoit que « Tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales ». Toutefois, cet article n’a, à notre connaissance, donné lieu à aucune déclinaison concrète encadrant davantage les droits des Etats membres en matière de justification des ruptures ni à aucun contentieux. Si bien que sa portée reste à éprouver...

En réalité, le droit européen ne réglemente pas tant les règles de justification de la rupture, que les règles entourant la procédure de licenciement collectif pour motif économique. Quel est le cadre posé par ce droit et son champ d’application ? Le droit français y est-il conforme ? C’est à ces questions que nous tenterons de répondre rapidement ici.

Le droit à l’information et à la consultation des représentants

Consécration d’un droit général à l’information et à la consultation en droit européen

C’est tout d’abord l’article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; adoptée en 2000, qui consacre le droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise, disposant que : « Les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile, dans les cas et conditions prévus par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales. »

Si la CJUE n’a pas reconnu l’effet direct de ce texte[1], la promesse d’un droit communautaire déclinant le droit inscrit dans la Charte a été tenue avec l’adoption de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs.

Les obligations d’information et de consultation issues de la directive du 20 juillet 1998

Concernant l’obligation d’informer et de consulter les représentants des travailleurs dans le cadre des licenciements collectifs, celle-ci a été prévue par l’article 2 de la directive 98/59 du 20 juillet 1998.

-L’obligation d’information. Pour permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives, l’employeur est tenu de communiquer par écrit certaines informations relatives :

- aux motifs du projet de licenciement ;

- au nombre et aux catégories des travailleurs à licencier ;

- au nombre et aux catégories de travailleurs habituellement employés ;

- à la période au cours de laquelle il est prévu d’effectuer des licenciements ;

- aux critères proposés pour les choix des travailleurs à licencier ;

- à la méthode de calcul envisagée pour toute indemnité éventuelle de licenciement autre que celle découlant des législations et/ou pratiques nationales.

La directive prévoit également la possibilité, pour les représentants des travailleurs, de faire appel à un expert.

-La finalité de la consultation. Lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs (ou autres cessations de contrats dans ce contexte et à son initiative), il est tenu de procéder, « en temps utile », à des consultations avec les représentants des travailleurs « en vue d’aboutir à un accord. »

Les consultations portent au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements/ruptures ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement, visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.

A quel moment l’employeur doit-il consulter les représentants des salariés ?

L’article 2 de la Directive 98/59 du 20 juillet 1998 prévoit une obligation de procéder à des consultations des représentants des salariés « lorsque l’employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs » et « en temps utile ».

Dans cette perspective, la Cour de justice précise que l’employeur doit démarrer la procédure d’information et de consultation dès qu’il envisage des licenciements et qu’il a établi un projet de licenciement[2].  Dit autrement, « la procédure de consultation doit être déclenchée par l’employeur au moment où a été adoptée une décision stratégique ou commerciale le contraignant à envisager ou à projeter des licenciements collectifs »[3].

Le déclenchement des obligations issues de la Directive de 1998 

Quelles ruptures sont comptabilisées pour déclencher les obligations issues de la directive ?

La Directive 98/59 du 20 juillet 1998 s’applique aux « licenciements effectués par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs ». Ne vise-t-elle que les licenciements, ou également d’autres ruptures intervenues à l’initiative de l’employeur dans un contexte économique ?

La Cour de justice interprète de manière large la notion de licenciement pour qu’un maximum de salariés soient pris en compte afin de déclencher les droits issus de la directive. Pour la CJUE, l’événement valant licenciement est constitué par la manifestation de la volonté de l’employeur de résilier le contrat de travail. Aussi, la Directive du 20 juillet 1998 s’applique-t-elle aux situations suivantes :

- les licenciements collectifs consécutifs à une cessation des activités de l’établissement qui résulte d’une décision de justice[4] ;

- et plus largement, « toute cessation du contrat de travail non voulue par le travailleur, et donc sans son consentement »[5].

Par conséquent, la directive a vocation à s’appliquer à toute rupture résultant du refus (ou de l’absence d’acceptation) d’une modification imposée par l’employeur pour une raison économique et/ou organisationnelle[6], ce qui n’est pas sans interroger sur la conformité au droit européen de la mise en œuvre de certains APC (ceux engendrant plus de 10 ruptures sur 30 jours).

Plus largement encore, certaines ruptures de contrat de travail autres que le licenciement, comme la rupture anticipée des CDD[7], sont également visées par la directive. En outre, les ruptures consécutives à la mise en œuvre de plans de départs volontaires doivent également être décomptées pour le franchissement du seuil déclenchant l’obligation pour l’employeur de consulter les représentants des travailleurs.

Le nombre de ruptures sur une période de référence donnée

La directive vise les cessations de contrats à l’initiative de l’employeur qui concernent un certain nombre de salariés sur une période donnée. Sont considérées comme des « licenciements collectifs » les ruptures intervenues :

- soit, pour une période de 30 jours, lorsque leur nombre est au moins égal à 10 dans les établissements employant habituellement plus de 20 et moins de 100 travailleurs ;

-ou, toujours pour une période de 30 jours, si leur nombre est au moins égal à 10 % du nombre des travailleurs dans les établissements employant habituellement au moins 100 et moins de 300 travailleurs ; ou bien au moins égal à 30 dans les établissements employant habituellement au moins 300 travailleurs ;

- soit, pour une période de 90 jours, au moins égal à 20, quel que soit le nombre des travailleurs habituellement employés dans les établissements concernés.

Seuils, effectifs et périodes de référence : un droit français non-conforme au droit de l’Union ?

-Notion d’établissement au sens de la directive de 1998 et calcul des effectifs. Selon la directive de 1998, le cadre d’appréciation des effectifs de l’employeur et des salariés concernés par les licenciements est l’établissement. Toutefois, ce cadre peut être ramené à l’entreprise, lorsque cela est plus favorable à la protection des salariés et si cela ne conduit pas à éluder la procédure d’information-consultation.

Dans un arrêt de 2007, la CJCE a précisé que, pour être considérée comme un établissement permettant le décompte du nombre de licenciements, il suffit que l’entité distincte, dans le cadre d’une entreprise, présente « une certaine permanence et stabilité », qu’elle soit « affectée à l’exécution d’une ou de plusieurs tâches déterminées et (…) dispose d’un ensemble de travailleurs ainsi que de moyens techniques et d’une certaine structure organisationnelle permettant l’accomplissement de ces tâches »[8]. La CJUE a eu l’occasion de confirmer et de préciser encore sa position sur ce sujet en 2015[9].

Par ailleurs en 2007, soucieuse de l’effectivité du droit des représentants des salariés à être informés et consultés, la CJUE a condamné la France sur le fondement de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 en raison de l’exclusion par l’article L. 1111-3 du Code du travail de certains travailleurs du calcul des effectifs de l’entreprise[10].

-Quand la période de référence pour le calcul des seuils démarre-t-elle ? Interrogée par les juges espagnols sur la manière dont doit être calculée la période de référence de 30 ou 90 jours, la Cour de justice a dû répondre à la question de savoir quelle période prendre en compte pour calculer si le seuil, en termes de nombres de licenciements, est atteint : uniquement la période de 30 jours antérieure au licenciement ? Ou bien également la période postérieure ? Ou encore toute période entourant le prononcé du licenciement de la personne qui prétend qu’il s’agit d’un licenciement collectif ?  

Pour la CJUE, peu importe ! Pour que le droit national soit conforme, il doit permettre de prendre en compte une période de 30 ou de 90 jours incluant le licenciement contesté et pendant laquelle le plus grand nombre de licenciements ont été prononcés par l’employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du travailleur[11].

Par exemple, si un licenciement est intervenu le 30 janvier 2024, pour savoir si le seuil de 10 licenciements sur 30 jours est atteint, on pourrait prendre en compte les licenciements intervenus depuis le 1er janvier ou bien se référer aux licenciements intervenus entre le 15 janvier et le 15 février, ou encore aux licenciements intervenus entre le 30 janvier et le 2 mars 2024.

La période à prendre en compte parmi les trois est celle au cours de laquelle il y a eu le plus de licenciements pour motif économique.

La conformité au droit de l’Union européenne des articles L. 1233-26 et L. 1233-27 du Code du travail visant à éviter les licenciements par petits paquets[12] peut être interrogée, car ces dispositions ne peuvent bénéficier aux salariés licenciés pendant la période de référence de la procédure de licenciement collectif et de ses garanties (comme le PSE). En effet, seuls les nouveaux licenciés à l’issue de la période de référence pour le décompte, que celui-ci ait lieu sur 3 mois ou sur une année civile, se verront appliquer les dispositions relatives aux grands licenciements pour motif économique avec PSE.

Une solution qui a sans doute le mérite de la simplicité, mais qui, partant, est également moins dissuasive pour les employeurs enclins à cette pratique dite des « petits paquets » [13] !

 

[1] CJUE, 15.01.14, aff.C-176/12.

[2] CJCE, 27.01.2005, Junk, C—188/03.

[3] CJCE 10.09.2009, Akavan, C-44/08.

[4] CJCE, 7.09.2006, Agorastoudis e.a., C-187/05 à C-190/05.

[5] CJCE, 12.10.2004, Commission c/ Portugal, C-55/02, § 50.

[6] CJUE, 11.11.2015, C-422/14.

[7] Art. 1§2, a) de la directive 98/59.

[8] CJCE 15.02.2007, Athinaïki Chartopoïïa, aff. C-270/05.

[9] CJUE, 30.04.15, aff. C-80/14 USDAW et Wilson ; CJUE 13.05.15, aff. C-392/13, Rabal Canas, aff.C-182/13, Lyttle ; v. A. Fabre, « Périmètre des licenciements collectifs au sens de la directive 98/59 », Revue de droit du travail 2015, p.400.

[10] CJUE, 15.01.14, aff.C-176/12.

[11] CJUE, 11.11.2020, aff.C.300/19, UQ. C./Marclean Technologies SLU ; Observations H. Tissandier, « Méthode d’appréciation temporelle de la période de référence des licenciements collectifs : le code du travail contraire à la directive 98/59 ? », Revue de jurisprudence sociale, 02/21.

[12] A ce sujet, v. dans cette partie l’article sur la notion de cause économique et le champ d’application du droit du licenciement économique.

[13] H. Tissandier, note précitée.