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Elections : une délégation de pouvoirs ne suffit pas à assimiler un salarié à l’employeur

Publié le 12/06/2019

Le principe est plutôt clair : pour être éligible aux élections CSE, un salarié ne doit pas être assimilé à l’employeur. Une délégation de pouvoirs écrite et signée par le salarié suffit-elle alors à le considérer comme représentant l’employeur ? Il semblerait que non, nous rappelle la Cour de cassation dans un arrêt intéressant, bien que non publié. Cass.soc.15.05.19, n°18-19862.

  • Les faits

Depuis 2010, la salariée travaille pour le compte d’une association en qualité de directrice d’un établissement médico-éducatif.

En 2018, alors que les élections au CSE sont en cours, elle se porte candidate au second tour dans le collège cadre et est élue en qualité de membre suppléant.

L’association conteste et saisit le tribunal d’instance en vue d’annuler la candidature et cette élection.

Selon elle, cette salariée ne peut exercer un mandat de représentation du personnel dans la mesure où elle représente l’employeur devant les institutions représentatives du personnel, et dispose d’une délégation écrite particulière d’autorité l’assimilant au chef d’entreprise.

Déboutée par le tribunal d’instance, l’association se pourvoit en cassation.

La question posée à la Cour est la suivante : une salariée disposant d’une délégation écrite particulière d’autorité et aux termes de laquelle elle assiste le directeur général de l’entreprise aux réunions des IRP doit-elle être assimilée à l’employeur et se voir ainsi refuser la possibilité d’être élue au CSE ?

 

  • Le principe : un salarié représentant l’employeur ne peut être candidat aux élections professionnelles

Un petit rappel s’impose. Pour être éligible aux élections professionnelles, le Code du travail exige que soient remplies certaines conditions (art. L.2314-19) :
-  être électeur, 
- être âgé de 18 ans révolus,
- travailler dans l'entreprise depuis 1 an au moins,
- ne pas être le conjoint, partenaire d'un pacte civil de solidarité, concubin, ascendant ou descendant, frère, soeur et allié au même degré.

De son côté, la jurisprudence est venue ajouter que pour être éligible et électeur, il ne fallait pas non plus représenter l’employeur devant les IRP.

Depuis maintenant plusieurs années, la jurisprudence est donc, sur ce point, constante : l’accès à des fonctions de représentation du personnel est interdit aux salariés qui :
- soit représentent effectivement l’employeur devant les IRP, en présidant leurs réunions par exemple ;
- soit disposent d’une délégation écrite particulière d’autorité permettant de les assimiler à l’employeur.

Qu’est-ce qu’une délégation de pouvoirs ?

Elle consiste, pour le chef d’entreprise, à déléguer une partie de ses pouvoirs à d’autres salariés qui se trouvent plus proches des situations de travail. Le Code du travail ne définissant pas la notion de délégation de pouvoirs, c’est la jurisprudence qui, au fil du temps, lui a donné un cadre juridique et en a défini les conditions de validité.
Il est tout d’abord utile de préciser qu’aucun formalisme n’est requis, mais que pour autant, si un écrit n’est pas nécessaire pour déléguer son autorité, il n’est pas suffisant à en établir la réalité. Il constituera tout au plus un élément d’appréciation de son existence, le chef d’entreprise devant démontrer qu’elle a été expressément consentie. C’est l’effectivité de la délégation que le juge recherchera.

Dans notre affaire, pour l’association, la directrice assure bien la représentation de l’employeur et n’est donc pas éligible aux fonctions de représentant du personnel.

Même si elle ne préside pas les réunions du CE, les termes de la délégation de pouvoirs qu’elle a acceptée lui permettent d’y participer avec le DG afin de répondre aux questions inscrites à  l’ordre du jour concernant son établissement. Ce qui est d’ailleurs attesté par les PV de réunions.

Qui plus est, la délégation de pouvoirs écrite et signée est claire : la salariée est responsable du personnel dont elle a la charge ! Alors, certes, elle ne signe pas elle-même les contrats de travail, ne prononce de sanctions disciplinaires au-delà de l’avertissement, ni de ruptures de contrats (qui sont prononcées par le président de l’association). Mais les missions conférées dans le cadre de cette délégation lui permettent tout de même de « recruter le personnel nécessaire au bon fonctionnement de son établissement ou service », d’initier une procédure disciplinaire en informant la DG de la sanction la plus opportune à prendre ou encore de définir les tâches de tout le personnel.

  • A condition de disposer d’une réelle délégation de pouvoirs

Parce qu’il ne suffit pas de disposer d’une délégation de pouvoirs écrite et signée pour être assimilé à l’employeur, encore faut-il que cette délégation soit effective...

Et c’est bien là que le bât blesse en l’espèce (tout au moins pour l’association), puisque la Cour de cassation va considérer que si la salariée dispose d’une délégation de pouvoirs, elle devait toujours agir sous l’autorité de la DG. Elle ne pouvait notamment pas signer de CDI ou exercer le pouvoir disciplinaire de façon autonome.

S’agissant de sa présence aux réunions CE, la mission de la salariée se limitait à assister la DG lorsque les questions à l’ordre du jour concernaient son propre établissement. C’est pourquoi, on ne peut pas considérer qu’elle représente l’employeur devant les IRP. Elle peut donc être élue membre suppléant du CSE.

 

C’est parce qu’à ce jour, aucun article du Code du travail ne définit les règles de la délégation de pouvoirs, que chaque décision rendue en la matière présente d’autant plus d’intérêt.

Faut-il rappeler que déléguer ses pouvoirs, c’est aussi transférer ses responsabilités ? La délégation ouvre donc la possibilité, pour l’employeur, de s’exonérer de toute responsabilité, notamment pénale. L’interprétation plutôt restrictive de la délégation de pouvoirs retenue ici est donc plus que bienvenue !