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COVID-19 2ème vague : témoignage de Franck, major de la police

Publié le 02/12/2020

Alors que nous connaissons une seconde vague et que nombreux.ses sont les français·es re confiné·es, Flash Trait d'Union donne à nouveau la parole à ces femmes et ces hommes qui permettent à la vie de continuer.

Trait d'Union : Frank, qui es-tu ?

Franck : Je suis major de police, affecté à la direction centrale du recrutement et de la formation, la sous-direction des méthodes et de l’appui : concrètement, il s’agit d’un centre de formation qui accueille en moyenne 40 à 50 policiers titulaires chaque semaine.

 

TU : Qu’est ce qui t’a conduit à choisir le métier de policier ?

F : Honnêtement, ce sont surtout des considérations alimentaires qui ont à l’époque déterminé mon choix. Titulaire d’un baccalauréat C, j’aurais pu m’orienter vers un cursus d’études universitaires mais ma situation familiale m’a contraint à entrer rapidement dans la vie active, et je me suis orienté vers la police car le métier de gardien de la paix offrait alors une rémunération très satisfaisante, 5800 francs en début de carrière ! Ensuite est venu le goût du métier, de part la dimension atypique des missions et la richesse d’expérience.

 

TU : Quelques mots sur ton parcours professionnel ?

F : Je suis entré dans la police nationale en 1987. A l’issue de ma formation à l’école de police, j’ai été affecté pour mon premier poste en brigade de nuit à Ivry sur Seine, dans le Val de Marne, ce qui m’a permis d’apprendre le métier de « nuiteux ». Au début de l’année 1990, j’ai été muté à Vénissieux et confronté à un contexte de violences urbaines que je connaissais déjà ; mais la différence, et je l’ai alors découvert, c’est qu’il y avait nettement moins d’effectif en province qu’en région parisienne. Quatre ans plus tard, j’ai été muté à l’hôtel de police dans le 8ème arrondissement de Lyon, affecté au service des gardés à vue : un travail différent, un autre volet de la profession, davantage judiciaire, puis en 2000 j’ai réussi à obtenir mon affectation à Clermont Ferrand- ma ville de cœur- en section d’intervention, c’est-à-dire sur des missions de maintien de l’ordre, contrôle routier et même d’escortes pour les convoyeurs de la banque de France. J’ai alors bénéficié d’une formation en conduite rapide, un stage nécessaire pour répondre aux contraintes opérationnelles liées au transport de fonds. J’ai ensuite rejoint la direction du recrutement et de la formation. Aujourd’hui, je termine ma carrière en m’impliquant pour le syndicat Alternative Police. Au regard de mon parcours professionnel et des missions diverses que j’ai exercées, j’apporte mon expèrience de conseiller technique pour ma zone, ainsi que référent national pour mon syndicat, mais je reste collé au terrain, c’est le sens de mon mandat de représentant du personnel.

 

TU : La police nationale est marquée par des évènements dramatiques qui ont en commun d’être d’une extrême violence : suicides au sein des forces de l’ordre, agressions en hausse à l’égard des forces de sécurité mais aussi violences de la part de policiers. Entre mal être et malaise, quel est le problème ?

F : Ce sont des sujets complexes qui appellent des réponses multiples. La police est aujourd’hui une institution extrêmement sollicitée, sur le front de l’anti-terrorisme, du maintien de l’ordre, de l’anti-délinquance, dans un climat social difficile, marqué en effet par des violences de toute nature.

De mon point de vue, la forte diminution des effectifs de terrain est sans doute le mal le plus criant : le redéploiement des missions d’investigation sur les agents du corps d’encadrement et d’application, par exemple, a abouti progressivement à une réelle baisse du nombre d’agents sur la voie publique. Pour illustrer mon propos, prenons par exemple la ville de Clermont-Ferrand : dans les années 80 il y avait beaucoup plus de Police Secours. Mais en plus, nous avions des îlotiers, ces fameux policiers qui partaient patrouiller à pied ou en scooter, proche de la population, proche du renseignement, ce lien primordial perdu. Entre sous-effectifs et sur-missions, des vacations de 12 heures, la police de terrain n’en peut plus, et celle de l’investigation est submergée par un portefeuille de procédures complexes. S’y ajoutent aussi des pressions de l’encadrement, un management inadapté.  Il existe bien des cellules de veille sur les risques psychosociaux, mais elles sont pilotées par ceux-là même qui exercent des pressions hiérarchiques fortes sur les agents, ce que dénoncent d’ailleurs régulièrement les médecins de prévention. Il faudrait des espaces de paroles libres, où les agents puissent s’exprimer en toute liberté, sans crainte d’être mis au placard. Enfin, se posent aussi des questions relatives au recrutement, à la formation initiale et continue des policiers.

S’agissant des violences perpétrées par des policiers, j’ai exercé en section d’intervention : le maintien et le rétablissement de l’ordre, c’était notre cœur de métier et sincèrement, je n’ai jamais observé de tels comportements, heureusement d’ailleurs : on m’a toujours appris que l’usage de la force doit être proportionné et maîtrisé et qu’une fois interpellée, on de ne doit plus user de la force sur une personne neutralisée. Mais ces actes posent aussi la question de la chaine de responsabilité, de commandement, celle des donneurs d’ordre. Avec la baisse d’effectif constant, les policiers de terrain vivent le syndrome de la citadelle assiégée, c'est-à-dire un sentiment d’être en permanence à la portée d’une menace grave, menaçant leur existence. Les gouvernements successifs pourraient s’excuser auprès des policiers de les laisser travailler dans de telles conditions.

 

TU : « Dans une société où les tensions sont palpables, où la défiance envers les autorités est manifeste, la proposition de loi de Sécurité globale, et particulièrement son article 24, crée une nouvelle fracture. Fracture entre des forces de l’ordre, qui doivent être défendues dans l’exercice de leurs missions face aux menaces croissantes dont elles sont l’objet, et des journalistes qui doivent être protégés sans ambiguïté dans leur liberté d’informer ».  La CFDT a clairement invité le gouvernement et les parlementaires à retirer cet article et à revoir sa copie.

Alternative Police et le SCSI, les deux syndicats CFDT de la Police ont pourtant accueilli favorablement cette proposition de loi, peux-tu nous exprimer votre point de vue ?

 F : Ce projet de sécurité globale était attendu par les policiers car il comporte un certain nombre de mesures visant à améliorer la sécurité et les conditions de travail des forces de sécurité ; s’agissant de l’article 24, Alternative Police était favorable à sa réécriture car ce n’est évidemment pas le travail de la presse qui doit être remis en cause mais l’usage malveillant d’images par des individus cherchant clairement à nuire à la police, à menacer l’intégrité physique ou psychique des policiers notamment par des diffusions sur les réseaux sociaux. Le débat s’est cristallisé sur cette mesure, or le projet comporte aussi d’autres dispositions comme la généralisation des caméras piétons qui permettra non seulement d’assurer une protection juridique supplémentaire des 30 000 policiers présents sur la voie publique, mais également de renforcer la volonté d’une totale transparence sur l’activité et les missions des forces de sécurité. Il est aussi question de l’extension du port d’arme hors service dans des établissements recevant du public : deux motifs ont justifié cette mesure : que les policiers puissent intervenir s’ils assistent à un crime, un attentat, mais aussi qu’ils puissent se défendre s’ils sont visés, même lorsqu’ils sont en civils.

 

TU : Les rapporteurs du projet de loi préconisaient l’armement obligatoire de la police municipale, proposition non retenue dans le texte de loi voté. A Clermont Ferrand, il y a eu récemment un débat vif autour d’un sujet très sensible, voire idéologique, celui de l’armement de la police municipale.

F : Nous, policiers d’Alternative Police, avons soutenu nos camarades policiers municipaux d’interco CFDT 63 sur ce sujet : j’ai trouvé choquant les propos du Maire en conseil municipal, son refus d’engager une concertation avec les agents, d’autant plus que ses policiers municipaux, eux aussi, sont exposés à des incivilités et faits de violence en constante augmentation. Ils réclamaient depuis plusieurs mois plus d’effectifs, plus de moyens. Ils avaient entamé un mouvement de protestation et limitaient leurs interventions aux urgences. Depuis, la CFDT a obtenu quelques avancées, des réunions de concertations mensuelles ont lieu et le maire a promis une décision avant le mois de juin. Il a par ailleurs évoqué la possibilité d’un armement intermédiaire pour les brigades de nuit.

 

TU : Pour clore cet entretien, as-tu un message à partager ?

F : Si on veut une police digne de ce nom, il faut mettre des moyens, et notamment en termes d’effectifs, de recrutement et de formation.

 

Propos recueillis par Sylvie Excoffier